Posté à 17h00
Ariane Lacoursière La Presse
Douze ans pour les données individuelles
Photo par Ewa Krawczyk, Archives liées à la presse Vue microscopique des cellules cancéreuses chez une personne atteinte d’un cancer du sein “Si, après analyse des données détaillées, on s’apercevait que 25% des personnes atteintes d’un cancer du sein étaient au stade 5, il faudrait revoir drastiquement nos programmes de dépistage et agir plus tôt”, déclare Eva Villalba, Directrice générale de la Coalition Priorité Cancer Québec. Début mai, la Société canadienne du cancer a publié ses données annuelles sur l’incidence des différents types de cancer au pays. Comme chaque année, le Québec a été exclu de la présentation car “il n’y avait pas de données disponibles sur les cas de cancer diagnostiqués dans la province de Québec depuis 2011”. Le même jeu se répète depuis plus de 10 ans : faute de données, le Québec est systématiquement absent des déclarations de cancer au Canada. « C’est dommage de voir le Québec ne pas participer », déplore le radio-oncologue Jean-Paul Bahary, qui travaille au CHUM. La situation est d’autant plus incompréhensible que le Registre québécois du cancer a été lancé en 2010. Comment peut-on se retrouver en 2022 et ne pas encore bénéficier d’un outil pleinement fonctionnel ? Erin Strumpf, professeure au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill, explique que l’accès à des données à jour sur le cancer n’est pas seulement une mode pour les chercheurs, mais peut parfois « faire la différence entre la vie et la mort ». . Par exemple, disposer de données détaillées permettrait de déterminer si les programmes de dépistage québécois sont efficaces. “Je ne comprends pas comment vous pouvez gérer un système de santé sans ces informations”, dit-il. martin tremblay photo, dossiers de presse Erin Bas « Si, après analyse des données détaillées, nous nous rendions compte que 25 % des personnes atteintes d’un cancer du sein sont au stade 5, il faudrait revoir radicalement nos programmes de dépistage et agir plus tôt », a déclaré Eva Villalba, directrice générale de la Coalition. Québec. Pour progresser, il faut se mesurer. » Nous voulons un registre fonctionnel pour qu’il puisse identifier ce qui nous distingue dans notre population et adapter nos traitements. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer nos performances en oncologie, comme nulle part ailleurs. Dr Denis Soulières, hématologue oncum au CHUM photo hugo-sébastien aubert, dossiers de presse Dr Denis Soulières, hématologue oncum au CHUM
Scepticisme sur le terrain
Type d’infographie Après n’avoir publié aucune donnée mise à jour pendant des années, le Registre du cancer du Québec a récemment commencé à publier des statistiques. Des tableaux montrant l’incidence des différents cancers au Québec sont disponibles depuis avril. Mais les données datent de… 2017. Se félicitant que le Québec publie enfin des données “plus à jour”, Mme Villalba est toutefois “déçue” qu’aucune donnée ne soit encore disponible sur la mortalité et les stades de la maladie. Lors du lancement du Registre il y a 12 ans, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) s’était toutefois engagé à diffuser ces informations pour répondre « aux objectifs de surveillance, de planification des soins, de soutien à la recherche et d’évaluation des programmes ». Au MSSS, on dit que « le développement du tableau de bord est prévu pour être ajouté […] taux de mortalité, de survie et de prévalence de la maladie ». Les données pour 2018-2019 sont attendues d’ici la fin de l’année, précise la porte-parole du ministère, Marie-Claude Lakas. Malgré ces promesses, le scepticisme est grand dans le milieu, où des résultats sont attendus à partir de 2010. Même alors, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a dit qu’il était « décevant » qu’on n’ait pas eu de registre du cancer au Québec plus tôt. Un registre pleinement fonctionnel a été promis pour 2012. Cette échéance sera ensuite prolongée jusqu’en 2014 et au-delà jusqu’en 2016. En 2022, le Québec demeure la seule province canadienne à avoir un registre pleinement opérationnel, selon le Central Cancer Registry de l’Amérique du Nord. Syndicat. Plusieurs facteurs sont évoqués lorsque vient le temps d’expliquer la piètre performance du Québec, dont le manque de registraires (archives médicales spécialisées) dont le rôle est de recueillir efficacement les données en éliminant les doublons. Pour le Dr. Bahary, même s’il est clair que la mise en place d’un registre québécois du cancer est “difficile”, il est injustifiable que “toutes les provinces canadiennes en aient un sauf nous”. martin tremblay photo, dossiers de presse Dr. Jean-Paul Bahary, radio-oncologue au CHUM Ils nous disent : “Oui, mais nous y travaillons”. D’accord, mais il faut aller plus vite […] Elle doit devenir une véritable priorité. Dr. Jean-Paul Bahary, radio-oncologue au CHUM Dr. Bahary note qu’avec la COVID-19, le Québec a fait des « pas de géant » dans la publication des données. “Il y a trois à quatre fois plus de personnes qui meurent du cancer que du COVID-19. Ils auraient besoin de données à jour pour mener correctement la bataille”, dit-il.
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Nombre de registraires responsables des différents registres du cancer au Québec Source : Ministère de la Santé et des Services sociaux
Dans un deux cylindres et non dans une Tesla
PHOTO DE FRANCOIS ROY, archives LA PRESSE Au début des années 2000, le Québec enregistrait ses données sur le cancer dans les « Archives des tumeurs » hébergées par la Régie de l’assurance maladie du Québec. Mais en 2010, la province a décidé de changer son approche afin d’obtenir un véritable registre central répondant aux normes nord-américaines. Ces normes stipulent entre autres que les rapports de pathologie doivent être utilisés pour tenir compte de tout nouveau cas de cancer. Contrairement aux autres provinces du Canada, les hôpitaux du Québec se tournent vers un seul progiciel en français, initialement assemblé par un médecin pour un usage personnel. Cet outil, SARDO, est devenu en 2019 le « système unifié d’information sur le cancer à l’échelle du réseau de la santé ». Dès le début, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a décidé de développer le Registre du cancer du Québec (RQC) en mode « gestion de projet ». Entre 2011 et 2014, près de 6 millions de dollars y ont été investis. Le Québec, par exemple, paie 1,465 million d’hôpitaux pour développer des registres locaux du cancer (voir encadré). Chaque hôpital sélectionne une solution informatique pour mettre en place son registre local. Plusieurs se tournent vers le progiciel québécois SARDO, développé par le Dr. Bernard L’Espérance, hématologue à l’Hôpital Sacré-Coeur de Montréal. Dans une longue entrevue avec La Presse, le Dr. L’Espérance explique qu’il a créé SARDO à des fins personnelles au début de sa pratique, pour documenter les cas de cancer dans son hôpital. Des collègues travaillant dans d’autres hôpitaux ont rapidement voulu profiter de sa solution “beaucoup moins chère que celles proposées par d’autres sociétés”, précise-t-il. Le logiciel est aussi “réalité québécoise” et est disponible en français. Il existe d’autres logiciels. Mais SARDO a été sélectionné en 2011 par environ 85 % des hôpitaux québécois, selon le MSSS. Le développement des registres locaux est inégal. Alors que certains hôpitaux créent des registres puissants avec des ensembles complets de registraires pour y saisir des données, d’autres …